La montagne
C’est le matin, l’heure des premières gambades, les chevaux de trait se promènent, lourds et fiers, les bouquetins sautillent sur les rochers mousseux, les chèvres folâtres et les vaches dodues chatouillent la tendre rosée des verdoyants alpages, la curieuse marmotte sort furtivement de sa demeure secrète, méfiante, puis contemple avidement les sauvages contrées, pour se nicher bientôt dans son terrier douillet, surprise par le passant indiscret. Toute la nature est en joie ! Les abeilles butineuses murmurent une mélodie dorée, le rire coquin des criquets gazelles les accompagne. Tout parle le bonheur ! L’enfant régalé par les délices gastronomiques, les lèvres sucrées par le miel succulent, les savoureuses tartelettes aux myrtilles et les exquises confitures au lait, boit goulûment le paysage enchanteur. Ebahi, il écoute de grosses cloches sonner, toutes pimpantes ! Dame Montagne, immobile, muette, domine la fête générale. Mais voici que de son trône surplombant, elle aperçoit de petits hommes grimper nerveusement ses monts touffus : " Comme cela s’agite ! Ces ridicules bêtes auraient-elles oublié leur petitesse ? Croiraient-ils atteindre ma grandeur ? Quelle insolence ! " Blessé, le glacier assassin punit l’orgueil démesuré des promeneurs imprudents, et les écrase, froid, terrible. La Montagne vengée, assiste, impassible, au sacrifice des neiges. Mais alors, un spectacle divin la saisit : à ses pieds, un lac magnifique susurre sporadiquement des clapotements bleutés et limpides. Ses arbres ensoleillés exhibent une chevelure rayonnante, prolifique. Ils sifflent un petit air feuillu, frémissant, frissonnant. Enchantés, les limaces et les vers de terre se tortillent, les fourmis font une studieuse randonnée. La vie est de sortie ! Le jour s’écoule, serein, égayé par les fraises vermeilles, les rouges framboises et les mûres écarlates. Quelle fantastique quiétude ! Puis le soleil somnole, une épaisse couverture noire recouvre amoureusement les immenses sapins verts. Quelques oiseaux ivres, tels les noirs choucas, piaillent encore leur joie de vivre. Le montagnard heureux rejoint la chaleur de son joli chalet, orné de peintures boisées. Repu, la panse remplie de la tome de Savoie et de saucisson aux noix, il s’endort, insouciant. L’absolue tranquillité règne.
Caroline |
|