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L'ours en peluche

 

Premier épisode : " Et leurs yeux se rencontrèrent… "

En ce 24 décembre 1945, toute la famille était réunie auprès du feu pour célébrer une veillée particulièrement émouvante, car c’était la première fois depuis cinq ans que nous pouvions fêter la naissance du Christ en paix. Cette naissance me semblait d’autant plus miraculeuse que j’étais moi-même née le vingt-cinq décembre 1940, tel un miracle au milieu de la guerre naissante. Dans la maison de briques rouges, à Fives, un parfum de réjouissance mêlée d’une amertume douloureuse régnait dans la salle à manger encore humide et délabrée, et la joie d’être vivant en ce temps de paix enfin rétabli était altérée par la tristesse d’avoir perdu les êtres les plus chers.

La petite Laurette que j’étais allait avoir seulement cinq ans, et on m’appelait " une enfant de la guerre ". Autour de moi, les rires et les pleurs composaient une mélodie mélancolique, et mon regard cherchait du réconfort auprès de ma mère, dont le visage tendre et rayonnant m’adressait parfois des coups d’œil rassurants. Victoria Standby avait épousé mon père, Lucien Forêtre, en une après-midi d’été 1934. De leur union étaient nés trois enfants. Frédéric, l’aîné, avait onze ans. Les bombardements l’avaient tellement effrayé qu’il ne parlait quasiment plus, et son regard hagard fixait parfois durant d’interminables heures l’horizon lointain.

J’étais la cadette, et miraculeusement, la guerre ne m’avait pas touchée. Mes souvenirs du conflit étaient si vagues qu’il me semblait que ma mémoire avait fait en sorte d’oublier définitivement ces premières années de ma vie.

La petite dernière, Marine, prénom donné en souvenir du jeune marin qui avait sauvé mon père en le cachant dans son navire lors d’une escale, avait tout juste deux mois.

En cette précieuse veillée, nous dégustions ainsi des pommes de terre au lard, un repas certes frugal, mais qui nous semblait extraordinaire après toutes ces longues années passées sous le jeûne.

Bientôt le feu m’assoupit et j’eus envie de quitter la table pour rejoindre le lit. Je demandai la permission de sortir de table et mon père acquiesça à ma demande. C’était toujours à mon père que l’on devait demander la permission de faire quelque chose. Malgré sa petite taille et son air débonnaire, il savait parfaitement diriger toute sa petite famille. Ses yeux vert gris dont j’avais hérité étaient tendres comme du bon pain mais une lueur triste et sinistre assombrissait leur éclat, et dans certains moments de désespoir, il me semblait qu’ils devenaient encore plus noirs que la nuit. C’était comme si un événement funeste avait à jamais brisé non seulement la couleur de ses yeux mais aussi et plus profondément la manière dont il percevait le monde, jusqu’à altérer la beauté de son âme.

Je me levai et montai les escaliers en courant, je traversai le couloir qui menait à ma chambre lorsque soudain, une envie irrésistible d’entrer dans la " pièce secrète " me saisit. La " pièce secrète " était une pièce dans laquelle mes parents m’avaient formellement interdit d’entrer, pour une raison qu’ils avaient refusé de m’expliquer, " j’étais trop petite pour comprendre ". De ce fait, cette pièce inconnue était devenue pour moi l’objet d’une curiosité obsessionnelle et des rêveries les plus fantaisistes. Il m’arrivait de croire que le diable lui-même y logeait ! Il fallait qu’un terrible secret existât pour juger nécessaire de ne plus jamais y rentrer. Personne ne me surveillait en ce moment, et l’opportunité de découvrir le mystérieux secret se présentait enfin. J’appuyai tout doucement sur la clinche et poussai le plus discrètement possible la porte magique, mais soudain, un horrible grincement me fit tressaillir : " Laurette, qu’est-ce que tu fabriques là-haut ? 

- Rien papa, je voulais aller me laver les mains dans la salle de bains ", répondis-je avec malice, car la salle de bains faisait face à la pièce secrète. Je respirai profondément pour garder mon sang-froid, et poussai jusqu’au bout la porte grinçante. A mon grand étonnement ou plutôt à mon grand soulagement, il n’y avait point de diable ni de monstre effroyable dans la pièce, seulement un amas désordonné d’objets hétéroclites : une vieille poussette recouverte de poussière, une chaise pour bébés à moitié cassée. Mais soudain, un objet étonnant et mystérieux attira mon attention : au fond du débarras reposait un coffre dont les couleurs bariolées ressemblaient à un véritable feu d’artifice ! Je m’approchai prudemment et ouvris le coffre coloré : j’en sortis deux ou trois vieilles robes de petite fille, un bouquet de fleurs séchées, et c’est alors que deux petits yeux tendres et innocents apparurent et semblèrent me regarder avec amour et me dire : " Prends-moi donc ma petite Laurette, je suis tout seul au fond de ce coffre et j’ai tant besoin d’un ami ! " Je rencontrai l’être le plus cher qui allait désormais accompagner mon existence : un adorable petit ours en pluche, tout doux, tout fragile, marron comme le bon chocolat au lait qu’on voyait derrière la vitrine de la pâtisserie de la ville et qu’on ne pouvait pas acheter, avec des oreilles rondes qui semblaient toutes prêtes à m’écouter. Je cachai " petit ours " sous ma robe de nuit, remis soigneusement les robes et le bouquet dans le coffre que je ne manquai pas de fermer, et m’éloignai de la pièce interdite pour rejoindre ma chambre comme une petite souris aurait regagné furtivement son trou après avoir grignoté le gruyère. Dans mon lit, je serrai très fort contre moi le petit ourson.

 

Deuxième épisode : les malheurs de Laurette.

Petit ours était adorable ! Non seulement il restait sagement caché sous le lit, comme je le lui avais bien dit, mais aussi il était tellement gentil et attentif qu’il écoutait tout ce que je lui disais, et selon que je lui rapportais les événements tristes ou joyeux de la journée, il pleurait avec moi, ou au contraire il éclatait de rire ! C’était un ami exceptionnel et depuis que je l’avais rencontré, ma vie était beaucoup plus gaie !

Malheureusement, trois semaines après la découverte de petit ours, mon père se rendit compte de ma désobéissance, et sa réaction fut si vive que j’en fus choquée.

Si ma mère ne rentrait qu’exceptionnellement dans la pièce interdite, en revanche, mon père y rentrait beaucoup plus souvent. Ce fut un dimanche glacial du mois de janvier qu’il eut l’envie d’aller visiter la pièce secrète. D’ordinaire, il y restait une ou deux heures, plus rarement une après-midi entière, mais cette fois-là, il ressortit quelques minutes seulement après être entré. Il ouvrit la porte brusquement et traversa le couloir qui menait à ma chambre. Son pas lourd et rapide me fit frémir. Je cachai soigneusement petit ours sous les couvertures, et me jetai sous mon lit. Mon père entra telle une furie : " Qu’est-ce que tu as fait petite sotte ? As-tu la moindre idée de ce que tu as fait ? Tu vas le payer cher, tu dormiras cette nuit dans la cave et tu seras privée de dîner ! Et où tu l’as mis hein ? Mais dis-moi où tu l’as mis sale gosse, ou je te fracasse la cervelle ! " hurla-t-il en me secouant furieusement. Son regard était animé d’une telle colère que je crus qu’il allait me tuer. Je soulevai les couvertures et lui tendis petit ours. Alarmée par les hurlements de mon père, ma mère arriva aussitôt et se jeta sur lui afin qu’il me lâchât. Elle criait : " Mais laisse-la donc ! Ce n’est pas sa faute tout ce qui s’est passé ! Laisse-la, je t’en prie ! Tu veux donc tuer tous tes enfants ? " A ces mots, mon père se mit à trembler comme un fou, c’était comme s’il avait été frappé par le tonnerre ! Je ne l’avais jamais vu comme ça ! Il était tout rouge, et ses yeux étaient exorbités ! J’ai cru qu’il allait tomber mort. Ses yeux se mouillèrent de larmes, il me regarda avec pitié, c’était comme si le monstre de colère qu’il m’avait paru s’était soudain transfiguré en un homme plein de douceur et de tendresse, et sans un mot, il me rendit petit ours. Il sortit de la chambre et traversa le couloir pour accéder à sa chambre qui était à l’opposé. Soudain, nous l’entendîmes crier en gémissant, tel un chien agonisant : " Plus jamais ça ! Ne pas me parler de l’ours en peluche ! " J’interrogeai le regard de maman et elle me répondit : " Tu es trop petite pour comprendre mais ne va plus jamais dans la pièce interdite. Papa en crèverait. "

 

Troisième épisode : les beaux jours.

Trois mois s’étaient écoulés depuis l’incident, je gardais petit ours sous ma protection et mon père ne fit plus jamais allusion à ce qui s’était passé. L’hiver rude et triste semblait loin déjà, et les jours rallongés du mois d’avril annonçaient le printemps. La petite famille revivait, prospère, alors que mon père avait remis sur pied son camion et sa petite entreprise laitière. Avec l’aide de deux cousins de la famille, il vendait des fromages, des yaourts, du beurre et du lait sur les marchés. Cela marchait très bien, et l’argent qu’il gagnait nous permettait de manger et de boire à notre envie. Les jours où les affaires avaient été très bonnes, il ramenait des bonbons et un gros gâteau pour chaque membre de la famille. Maman avait droit à son énorme baba au rhum qui la rendait toute guillerette, Frédéric préférait l’éclair au chocolat, et moi, oui, c’était incroyable, il pensait aussi à moi, je dégustais une délicieuse tartelette aux poires, fondante et sucrée comme la tendresse que j’aurais tant voulu goûter. Ces soirs-là, j’étais si heureuse, j’oubliais tous mes chagrins et je ne pleurais pas la nuit au côté de petit ours.

La vie semblait renaître et maman était superbe avec sa petite robe rouge, Frédéric semblait être plus calme avec la fin des longues journées sombres de l’hiver, car la nécessité de se cacher dans la cave durant la guerre l’avait définitivement fait craindre le noir. La petite Marine grandissait petit à petit, et mon père semblait fier de toute sa petite famille. Cependant, il demeurait toujours aussi froid à mon égard à tel point qu’il avait refusé mon aide au marché. Maman essayait de me consoler, ce n’était pas grave selon elle, le temps arrangerait les choses, mais la blessure de mon cœur demeurait ouverte et je souffrais terriblement.

Mon père aussi souffrait, et malgré l’embellie de ses affaires, il avait souvent le regard sombre et parfois humide, sans que je puisse comprendre l’objet de cette tristesse amère. Il n’était plus jamais rentré dans la pièce secrète, on aurait dit que cela lui faisait peur à présent. Ce qui surtout nous inquiétait maman et moi, c’est qu’il se mettait à boire, les jours où il semblait le plus triste. Il descendait à la cave et remontait une bouteille de rouge, et il la buvait, en deux jours la plupart du temps, mais il lui arrivait aussi de tout ingurgiter le soir même.

 

Quatrième épisode : les vacances à Bray-Dunes.

L’été était arrivé et il semblait que le soleil et l’approche des vacances avait apaisé papa qui buvait moins. Le commerce qu’il menait avec son camion marchait très bien et nous pûmes partir à la mer, à Bray-Dunes, durant la première semaine de juillet. La mer, quelle émotion ! C’était la toute première fois que je voyais la mer et j’en garde un souvenir magique ! La mer du nord, verte, grise, blanche, bleue, indéfinissable et sauvage comme le cœur d’un petit enfant qui découvre l’océan. Mon cœur tout excité, tout animé par les vagues joyeuses ! Et la mer de sable fin, jaune et encore humide de la dernière marée, comme s’il portait les traces de ses derniers baisers…

Oui ce fut un véritable coup de foudre entre la mer et moi, ce fut une expérience bouleversante : l’enthousiasme naissant et l’amour sans bornes pour la nature. Toute la famille était heureuse ! Maman portait Marine qui riait aux éclats aux bruits de la vague, et son prénom semblait être fait vraiment pour l’océan ! Frédéric ne parlait pas bien sûr, mais son regard parlait pour sa bouche, et le vert de ses yeux devint si éclatant que je crus un instant qu’ils se transformaient en deux magnifiques émeraudes ! Papa aussi était heureux, oui, c’était incroyable, il était vraiment heureux, ses yeux étaient humides comme s’ils étaient humectés par les baisers de la mer, ils étaient si beaux ! Nous étions tous enchantés !

La semaine que nous passâmes à la mer fut magique ! Dès le matin, nous quittions la villa que nous avions louée pour profiter du bord de la mer. Maman avait préparé de délicieux sandwiches au jambon que nous dégustions vers onze heures, et tout au long de la journée, nous nous désaltérions avec de l’eau mélangée à du sirop de fraise. Nous dormions sous le soleil, couverts parfois de grands tee-shirts blancs lorsqu’il faisait très chaud. L’après-midi, alors que l’eau s’était réchauffée, nous ne résistions pas à un petit bain de mer avec papa qui courait et jouait dans les vagues comme s’il était redevenu un petit garçon. Frédéric semblait rire pour la première fois, et le rire de son regard accompagnait les francs éclats de la petite Marine, dont les petits pieds roses étaient mouillés par de petites gouttelettes, alors même que maman la portait le plus haut possible, comme si elle avait peur de la noyer ! Le rire, le bonheur, et puis nous repartions nous allonger sur nos longues serviettes de plage blanches striées de lignes bleues, et toujours le bonheur ! Vers quinze heures nous mangions de petits biscuits au beurre que maman avait soigneusement apportés pour ses petits chérubins, nous croquions avidement dedans, et les biscuits étaient d’autant plus croquants que nous mangions de petits grains de sable avec ! Si nous mangions des biscuits sablés, c’était bien au sens propre qu’il fallait le prendre : les biscuits uniques de la mer de Bray-Dunes me semblaient être faits de beurre et de sable ! A seize heures, nous revenions à la maison, et nous passions tous " à la douche " sous l’ordre inflexible de maman. Malgré cela, le sable restait partout autour de nous et à cause de cela j’étais persuadée que le sable était l’ami le plus fidèle que l’on pouvait avoir ! Je ne manquais pas de le dire à nounours que j’avais refusé de laisser à Fives, et nounours partageait d’ailleurs la même opinion.

La semaine se passa comme une féerie, et il me semblait découvrir les plus belles merveilles du monde : des crevettes agiles et légères comme l’air, des crabes espiègles, des méduses monstrueuses et redoutables ! Tout un univers inconnu s’offrait à mes yeux éberlués, et quand le soir je décrivais à nounours toutes ces merveilles, c’est à peine s’il voulait me croire ! Un soir il me dit à l’oreille : " J’aimerais tant venir à la mer avec toi ! " Son regard était si suppliant que je n’eus pas la force de refuser, et malgré l’interdiction formelle d’emmener nounours à la plage, j’étais trop grande soi-disant, je bravai les interdits et emmenai secrètement nounours avec nous, blotti sous ma grande serviette de plage. Alors ce fut le drame, car je voulus montrer à nounours la beauté de la mer, et combien les vagues étaient amusantes ! Mais quand je sautai pour éviter une vague, nounours m’échappa des mains et tomba dans l’eau ! Je me mis à hurler : " Papa, papa, nounours est tombé dans l’eau ! " N’entendant que son courage, papa plongea dans l’eau et sortit nounours triomphalement ! Je sautai dans ses bras car papa était devenu un héros pour moi : il avait sauvé nounours !

Arrivée à la maison, je fus grondée par papa et maman à cause de ma désobéissance mais mon regard éploré les attendrit – j’étais très inquiète car nounours avait attrapé froid et risquait de devenir malade, il était tout mouillé et paraissait encore plus frêle qu’avant- et je ne reçus pas de punition. J’avais tellement eu peur pour nounours ! Heureusement, nous revenions le lendemain et nounours allait être éloigné de la fraîcheur marine !

 

Cinquième épisode : l’accident.

De retour à Fives, nounours se remettait peu à peu de sa chute mais j’étais toujours un peu inquiète pour lui. Papa semblait presque heureux et c’est avec plaisir qu’il reprit le travail. Il n’allait plus dans la chambre secrète. Depuis les vacances, il semblait avoir arrêté de boire même s’il ne résistait pas à se rendre parfois à un bistrot lillois pour jouer aux cartes le soir avec les deux cousins. Surtout le dimanche, jour sacré, il s’y rendait pour " faire son petit tiercé ", dans l’espoir tenace de devenir riche. Or le dimanche tant attendu arriva, jour de joie et de tristesse…

Ecoutant avec tension les résultats du tiercé, mon père dut croire que le ciel lui tombait sur la tête ! Mon dieu ce n’était pas possible il avait les trois numéros gagnants, et ils étaient seulement deux à avoir gagné, ce qui lui rapportait la somme énorme de soixante-dix mille francs ! Une véritable fortune à l’époque et au lendemain de la guerre ! Cette fois-ci la chance était avec lui, et poussé par un premier verre de pinard, il décida, une fois n’était pas coutume, d’offrir la tournée générale ! Lui-même participa pleinement à la beuverie, et les cousins racontent que c’était la première fois qu’il buvait tant, et surtout, la première fois qu’il buvait le sourire aux lèvres ! Minuit était passé et il se décida finalement à rentrer à la maison pour annoncer la bonne nouvelle à la famille.

Il n’y avait pas de lune cette nuit-là et on ne voyait rien sur la route. Il voulait repartir seul pour être le premier à annoncer la nouvelle et il était tellement ivre qu’il tomba en sortant du bistrot. Un homme qu’on n’avait jamais vu dans le coin, triste et sombre comme la mort, lui ouvrit la porte et lui dit de rentrer vite chez lui. Mon père démarra difficilement le camion, et se lança sur la route noire. L’accident se produisit au " virage maudit ", car mon père endormi versa dans le fossé. Il n’avait pas mis sa ceinture mais miraculeusement, il ne mourut pas sous le choc.

C’est vers deux heures du matin qu’on vint avertir ma mère, paniquée par le retard de mon père, du désastre. Papa rentra en urgence à l’hôpital et si les médecins le sauvèrent, il perdit définitivement l’usage de ses jambes. Il revint à la maison trois semaines plus tard, le regard plus noir que jamais. Non seulement il était devenu invalide mais aussi il avait perdu tous ses biens : le camion était à la casse et il avait perdu son ticket gagnant du tiercé, ou plus exactement on lui avait volé. L’homme qui était apparu pour la première fois au bistrot lui avait dérobé le ticket et l’avait ensuite précipité dans le camion. C’était le diable qui avait rendu visite à mon père.

 

Sixième épisode : les châtiments.

L’automne fut terriblement difficile : nous sombrions dans une pauvreté de plus en plus acerbe et maman s’épuisait à faire des ménages pour gagner vainement de l’argent, car papa buvait tout ce qu’elle gagnait. Bien que ses cousins lui avaient fabriqué un fauteuil roulant, il me semblait plutôt que c’était un fauteuil immobile, le fauteuil d’un mort, car jamais mon père ne sortait, sauf pour boire. Nos vêtements étaient tout rapiécés, la petite Marine devenait de plus en plus pâle et Frédéric le muet ne souriait même plus, il était si sombre que son visage avait recouvert les traits durs qu’il avait durant la guerre. Et lorsque le soir je serrais nounours dans mes bras, il me semblait l’entendre pleurer.

Je venais de rentrer à l’école primaire et tout le monde se moquait de moi. La maîtresse était très dure avec moi, et quand le matin je n’avais pas eu le temps de faire mes devoirs parce que j’avais aidé maman aux tâches ménagères, elle me frappait les doigts et en profitait parfois pour battre mes bras avec son interminable barre de fer. C’était une maîtresse abominable, longue et dure comme son instrument de torture, les yeux noirs et brillants comme des éclairs, les cheveux déjà gris et ternes.

Pour autant, je faisais tous les efforts pour réussir et je m’obligeais à me lever à quatre heures du matin pour faire mes devoirs à la lumière de la bougie quand je m’étais couchée trop tard le soir pour aider maman. Parfois, à cause d’une fatigue d’autant plus insoutenable qu’elle était prolongée, je ne me réveillais pas et c’était à ces moments-là que je me faisais battre par la maîtresse d’école. J’étais si fatiguée qu’il m’arrivait de renverser l’encre de mon stylo et elle m’ordonnait alors de faire le tour de la cour avec un bonnet d’âne et de porter une ardoise sur le dos de laquelle étaient écrits ces mots terribles : " je suis la plus bête ".

Les autres filles ne m’adressaient la parole que pour m’insulter, à l’exception de l’une d’entre elles, Marie, une jolie poupée blonde aux yeux bleus, dont le père était un riche médecin de la ville de Lille. Malgré nos différences, nous nous plûmes immédiatement et Marie préférait parler avec moi plutôt que de rester avec toutes les autres filles, " elles étaient bien trop bêtes et surtout si méchantes ". Un jour, Marie m’invita dans son " palais ", car c’était comme ça que tous les gens du quartier appelaient sa maison. Maman avait refusé tout d’abord de me donner la permission car elle ne voulait pas que je me présente couverte de guenilles. Finalement, elle m’avait fait porter une jolie robe blanche à coquelicots dont j’ignorais l’origine en me donnant l’ordre formel de ne surtout pas me montrer ainsi à mon père.

Je pris bien soin de me dérober à son regard car j’avais terriblement envie d’aller chez Marie. Le père de Marie alla nous chercher à la sortie de l’école et nous montâmes toutes deux dans sa belle voiture. Son père était vraiment très élégant et très gentil, j’eus mal quand je pensai à mon propre père rivé sur son fauteuil, le regard noir et triste, se laissant aller jusqu’à ingurgiter une bouteille entière de pinard dès le matin. Enfin nous arrivâmes dans le " palais ". C’était une grande maison de briques rouges, couverte d’un gigantesque toit couvert de tuiles " rubis ". Nous entrâmes. C’était immense ! Devant nous, un long couloir blanc orné de magnifiques glaces ! Nous le traversâmes, Marie me prit alors la main et me mena non pas dans sa chambre, comme je le croyais, mais dans la pièce dont elle savait déjà qu’elle allait être ma pièce préférée : il s’agissait de la bibliothèque. Et quelle bibliothèque ! Jamais je n’avais vu autant de livres ! Malgré mon amour pour ceux-ci, la ruine de mon père alors que j’entrais à l’école primaire m’avait définitivement interdit l’accès au monde magique des livres. Et là, juste devant moi, dans la grande pièce des rêves, trois meubles merveilleux, trois bibliothèques abritant les plus beaux livres du monde. Marie me délivra leur secret : " dans la première bibliothèque se trouvent les livres pour les enfants, ce sont des contes merveilleux, de très beaux récits, tu verras. Dans la deuxième bibliothèque il y a les livres de médecine de papa, je n’ai pas le droit de l’ouvrir car il y a parfois des images horribles. Enfin, la troisième bibliothèque abrite les livres pour les grands, les romans qui pourraient subvertir des esprits faibles selon papa. Là encore, je n’ai pas le droit de l’ouvrir mais papa me raconte parfois les histoires terribles que ces livres racontent. " J’aperçus alors dans la troisième bibliothèque un roman dont le titre attira sitôt ma curiosité : il s’agissait du Père Goriot de Balzac. Quelle était donc l’histoire terrible de ce père pour qu’elle puisse donner naissance à un livre ? Je demandais à Marie si son père lui avait raconté cette histoire : " Oui Laurette, et je vais te la raconter si tu veux, car c’est vraiment une histoire terrible ! C’est l’histoire d’un père qui se ruine pour l’amour de ses filles, et ce qui est horrible, c’est que ses filles le renieront à sa mort parce qu’il est pauvre ! C’est l’histoire tragique d’un père qui aime trop ses filles et qui mourra pour elle. Un père abandonné, délaissé, mal-aimé ! Comme c’est triste n’est-ce pas ? Moi je suis sûre que je ne pourrai jamais abandonner papa ! " Je pensai en moi-même que c’était papa qui m’avait abandonnée malgré tout l’amour que je lui portais, et je me demandai quelle histoire était la plus triste : un père abandonné par sa fille ou une fille abandonnée par son père ? Dieu sait malheureusement combien ces deux cas sont courants dans la vie.

" A quoi penses-tu Laurette ? C’est mon histoire qui t’a rendue aussi triste ? Ce sont des romans tu sais, ça n’arrive pas dans la vie ! Il ne faut pas être triste ! Tiens, je vais te prêter un conte pour enfants pour dissiper ton chagrin. " Elle ouvrit la porte de la première bibliothèque, celle des rêves et du merveilleux, et j’eus vraiment l’impression que c’était une porte magique qui était en train de s’ouvrir ! Des milliers de contes se présentaient devant moi, et bientôt je pourrais en lire un pour moi toute seule, seul nounours connaîtrait cette histoire avec moi, car je ne manquerais pas de le lui raconter. Marie me tendit un livre rouge délicatement brodé, sur la couverture de laquelle apparut une magnifique petite fille toute de blanc vêtue : " C’est La Reine des neiges " me révéla-t-elle, comme s’il s’agissait d’un secret très grave et très intime, que je n’avais absolument pas le droit de divulguer. 

Je restais avec Marie durant toute l’après-midi, mais je ne pensais plus qu’à ce livre : j’avais hâte de rentrer à la maison pour le lire en secret. La journée se termina comme un rêve et j’emportai le trésor à la maison. A mon retour, ma maman remarqua le halo de mystère et l’expression de joie qui entouraient mon regard, mais c’est en vain qu’elle m’interrogea sur la raison de ce bonheur soudain et mystérieux. Je portais avec moi un secret magique, et nounours serait le seul à le partager.

 

Septième épisode : la Reine des neiges.

L’automne était passé, triste et sombre, et nous entrions dans un mois de décembre particulièrement glacial. Une seule consolation me restait : nous allions bientôt fêter mon anniversaire. J’allais avoir six ans et je croyais que cet anniversaire allait être une véritable fête, c’était très important à mes yeux. J’espérais que papa, cloîtré sur son fauteuil, allait tout de même faire un effort pour me souhaiter un bon anniversaire, mais cet espoir était vain. Ce soir-là, nous n’avions quasiment rien à manger, sinon quelques miettes d’un vieux pain rassis. Malgré tous les efforts de maman pour gagner un peu d’argent en faisant des ménages très tard le soir, notre pauvreté était exécrable, car papa s’empressait d’envoyer des " amis " lui chercher du pinard avec l’argent durement gagné.

Maman était partie travailler et j’étais seule avec papa, car Frédéric et la petite Marine dormaient. Je m’approchai de lui et lui dis tendrement : " Papa, tu n’aurais pas oublié quelque chose ?

- Et toi t’aurais pas oublié d’aller te coucher ? répondit-il la voix brouillée par l’alcool.

- C’est mon anniversaire aujourd’hui. " Il parut être pris soudain d’une terrible rage, ses yeux étaient rouges de sang et il hurla : " Jamais tu n’aurais dû naître tu m’entends, jamais je n’aurais voulu que tu voies le jour ! Tu es la fille de la mort, oui ton anniversaire c’est un deuil pour nous tous ! " J’étais terrorisée, mes jambes tremblaient et je me sentais prête à m’écrouler. Anéantie, je courus dans ma chambre, pris nounours puis redescendis les escaliers et sortis précipitamment de la maison pour m’enfoncer dans la nuit noire et froide. Je courais sous la neige, oui il fallait que je quitte ce monde trop cruel, je voulais rejoindre le monde de l’imaginaire et des rêves, je m’endormirais cette nuit sous la neige avec nounours et je deviendrais à mon tour la magnifique Reine des neiges. Après avoir longtemps couru, à bout de souffle, exténuée par le froid et la douleur, je m’allongeai sur le trottoir humide et attendis calmement les fées qui m’emporteraient vers le pays de l’imaginaire. Déjà mes yeux semblaient tout voir en blanc, et bientôt, c’était certain, j’allais rentrer dans un conte et devenir la belle petite fille blanche qui souriait sur la couverture rouge. Je fermai les yeux et perdis connaissance.

 

Huitième épisode : le secret.

Je me réveillai et me retrouvai avec nounours dans un lit tout chaud, tout blanc, ça devait être le lit de la reine des neiges pensai-je joyeusement, mais soudain je vis maman pleurant à mes côtés, et une dame aussi toute blanche qui me regardait en souriant, ce devait être une fée qui accompagnait la reine des neiges. La dame blanche me dit : " Tu es à l’hôpital ma petite, tu es sauvée. Tu as fait très peur à tes parents, tu sais. " J’interrogeai alors maman du regard, et me comprenant parfaitement, sans même que j’ai besoin de parler, elle m’expliqua enfin tout ce que je devais savoir : " Nous avons eu très peur ma chérie, car sache-le, ton père et moi t’aimons plus que tout. Mais pour que tu comprennes ce qui s’est passé hier soir, il faut que je te raconte une très longue histoire. Tu croyais jusqu’à présent avoir un frère et une sœur, mais c’est faux. Deux ans avant que la guerre ne commence, nous avions eu une autre petite fille que nous avions prénommé Laurette. Elle était magnifique, elle te ressemblait beaucoup et ton père l’adorait tu sais, il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Deux ans plus tard, je suis tombée enceinte et c’était toi que j’attendais. Comme un grand malheur, la guerre commença, et si tout semblait calme au début, la guerre démarra dans toute son horreur à la fin de l’année 1940. Nous étions sans cesse bombardés et tu sais du reste que Frédéric a été si effrayé qu’il en a perdu définitivement l’usage de la parole. J’allais bientôt accoucher et j’espérais qu’il n’y aurait pas de bombardement. D’ailleurs cela semblait s’être calmé depuis quelques jours, et nous nous disions que les Allemands réduisaient peut-être leurs attaques à l’approche de Noël. Nous mangions un peu de pain avec du lait en cette veillée de Noël 1940, quand soudain un bruit terrible se fit entendre : nous étions bombardés. Ton père courut vers la chambre de Laurette, ta sœur, la pièce secrète où tu n’avais pas le droit d’entrer, et où nous avons laissé comme autant de signes de deuil les vêtements et les jouets qui lui étaient destinés pour le jour où elle serait devenue grande : nounours bien sûr, qui était son doudou, et la jolie robe que tu as portée chez Marie, tu comprends maintenant pourquoi ton père ne devait pas la voir. Mais il était trop tard, la chambre de Marie était entièrement détruite, et Laurette était morte, écrasée sous les éboulements. Ton père s’en voulait terriblement d’avoir laissé Laurette seule dans la chambre et je l’entendis hurler, c’était le hurlement terrible d’une bête sauvage à laquelle on aurait arraché ses petits. Soudain je sentis des contractions très fortes et je me tordai de douleur, j’étais remplie d’un désespoir indicible et d’une angoisse abominable, car à la douleur d’avoir perdu Laurette se mêlait la peur de te perdre à présent. Je hurlai de douleur. Ton père arriva en courant, le regard hagard, en voyant mon visage contracté par la douleur, il comprit ce qui était en train de se passer, il cria alors à Frédéric de courir à la cave et me porta jusque là. Les souffrances de l’enfantement durèrent de nombreuses heures, et tu vins finalement au monde vers trois heures du matin. Nous n’avions pas encore choisi ton prénom, ignorant si tu étais une fille ou un garçon, et alors que je venais de perdre ma première petite fille, je pensai la faire renaître en te prénommant Laurette. Ton père ne voulait pas te regarder, sans doute avait-il peur de trop t’aimer et de te perdre aussi. Il n’a plus jamais voulu parler de ta sœur, et sa chambre a été vouée au deuil. Quand il a vu que tu y étais entrée, toute la douleur qu’il avait éprouvée lors de la nuit fatale est ressortie et voir nounours dans tes bras, c’était lui rappeler douloureusement ta petite sœur et son doudou. Après avoir perdu l’usage de ses jambes à cause de l’accident, ton père a sombré dans ses pensées les plus sombres et il s’est enfoncé dans l’alcoolisme pour tenter d’oublier parfois son mal. Hier, il avait beaucoup trop bu, tu sais, car il voulait oublier cette nuit tragique et c’est pourquoi il t’a répondu si méchamment. Lorsque je suis rentrée et que j’ai vu la porte ouverte, j’ai compris qu’il s’était passé quelque chose et j’ai supplié ton père de tout me raconter. Lorsque j’ai su ce qu’il t’avait dit, je lui ai crié en pleine face : " Veux-tu donc perdre ta deuxième fille, cette chance qui nous a été donnée ? Quand oseras-tu donc aimer ton enfant ? Craindras-tu toute ta vie de la perdre à son tour ? Mais tu as réussi, elle doit être morte à présent. " Les yeux pleins de larmes, de larmes d’amour, il se mit à pleurer, oui, il avait compris, compris qu’il ne devait pas avoir peur de t’aimer, car la vie est ainsi faite qu’elle est parfois cruelle mais qu’il ne faut jamais, non jamais renoncer à son amour, sinon ça veut dire que l’on est déjà mort. Malgré toutes mes recommandations car le médecin m’avait dit combien il était faible, il sortit dans la nuit noire avec son misérable fauteuil roulant et te chercha toute la nuit. Enfin, vers six heures du matin, il te trouva et alerta le père de Marie qui te prodigua les premiers soins. Papa le suppliait de te sauver, de sauver sa petite fille. Il a fallu te mener à l’hôpital car tu ne reprenais pas connaissance et tu es maintenant sauvée. Guéris vite ma petite chérie, car nous t’attendons tous à la maison. "

Je pleurais toutes les larmes de mon corps, car je comprenais à présent tout ce qui s’était passé et surtout, je savais que papa m’aimait.

 

Neuvième épisode : la morte qui portait mon nom.

La santé de papa s’était affaibli depuis qu’il était sorti dans le froid pour venir me sauver, et il ne sortait plus que très rarement. Le printemps arriva, avec sa douceur tant recherchée, et mon père me dit un jour : " Viens Laurette, il faut que je te montre quelque chose d’important avant que la maladie ne m’emporte. "

J’allai chercher nounours et le posai sur les genoux de papa, car il était à présent très content de mon amitié avec nounours, puis je mis mon manteau et nous sortîmes. J’étais très fière de pousser le fauteuil roulant de papa, et je ne savais pas du tout où il voulait m’emmener. Je fus très étonnée quand je compris que nous allions au cimetière de Fives, et je dois dire que cela ne me plaisait pas beaucoup. C’était un endroit bien sombre pour une petite fille, et mon seul amusement était d’y trouver la tombe la plus ancienne. Mais cette fois-ci, je sentais bien que c’était du sérieux et je suivais papa solennellement. Nous nous arrêtâmes devant une tombe : et là stupéfaction la morte portait mon nom, Laurette Forêtre. Mon père me regarda tendrement, comme s’il me donnait tout son amour et sa confiance dans ce regard, et je compris que la tombe était celle de ma petite sœur. Mon père me dit avec une grande émotion : " J’ai voulu que nous allions honorer ensemble la tombe de ta sœur, car il me semblait important que tu la connaisses. Je l’ai perdue ma toute petite, et c’est pour ça que j’ai eu si peur de t’aimer. Je sais maintenant que j’ai eu tort, car la vie ne vaut que pour aimer, et c’est mourir que de s’y refuser. Pardonne-moi pour tout le mal que je t’ai fait, cela n’en valait pas la peine, je le sais. Tu sais, il faut vivre et aimer avant que la mort ne t’emporte, savoir donner tout ce que ton cœur peut donner, c’est le seul sens de la vie. Bientôt il sera trop tard, et bien misérable est celui qui n'a pas su donner à temps. C’est bien tard que je m’en suis rendu compte avec toi, et c’est sans aucun doute la seule véritable faute que j’ai commise dans ma vie. Je t’aime de tout mon cœur ma chérie, et j’emploierai à présent tout le reste de mon existence à te montrer mon amour. " En me disant cela, il me serrait la main très fort et un torrent de larmes d’amour ruissela sur nos deux visages.

 

Dixième épisode : mes dix ans.

La situation s’était rétablie dans la famille : mon père ne buvait plus l’argent durement gagné par maman, mais surveillait avec amour ses enfants et m’aidait à faire mes devoirs le soir. Je sentais bien qu’il s’affaiblissait d’année en année, et je profitais pleinement des moments que nous partagions, moments d’autant plus précieux qu’ils avaient été longuement attendus. Ce Noël-là, j’étais très fière car j’allais avoir dix ans et à mes yeux c’était un anniversaire très important car j’allais bientôt faire partie de la cour des grands, c’est-à-dire du monde des hommes qui ont un âge de deux chiffres. Et ces deux chiffres, je ne les quitterais pas avant longtemps, sans doute vivrais-je toujours avec ces deux chiffres, et cela me semblait incroyable, ou pour mieux dire effroyable !

Toute la famille était réunie autour de la table, nounours, mon ami pour la vie, était sur mes genoux, Frédéric qui devenait un homme mais qui gardait la timidité de l’enfance, la petite Marine qui était une charmante petite fille, et maman portait dans son ventre un quatrième bijou. Papa avait vieilli, terriblement vieilli, et il me semblait qu’en vieillissant son visage devenait de plus en plus sage et tendre. Je soufflai les bougies de l’énorme gâteau au chocolat que maman avait délicieusement concocté, et partout ce n’étaient qu’éclats de rire et qu’applaudissements. Nous étions heureux, c’était ça oui, le bonheur, le bonheur si rare et si bref.

Deux mois plus tard, papa était mort : une pneumonie soudaine l’avait terrassé. Il était mort heureux je crois, car il avait compris enfin ce pourquoi il était là, et il avait donné un sens à sa vie, en osant aimer tous ceux qui comptaient pour lui.

Lorsque je regarde avec tendresse mon chétif et adorable nounours, qui depuis son bain de mer a conservé un aspect tout fripé qui le rend encore plus vulnérable, je me souviens des vacances à Bray-Dunes, les larmes me montent aux yeux car je revois papa plonger, tel un héros, pour sauver nounours. Et lorsque je serre nounours dans mes bras, j’ai comme l’impression d’embrasser le courage de papa, qui est parti trop vite, et qui a compris aussi trop tard, bien trop tard, ce qu’était la vie : il ne faut jamais, non jamais renoncer à la vie, et surtout il ne faut jamais avoir peur d’aimer.

Caroline

 

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